Mémoire au ministère des Affaires municipales et du Logement concernant les modifications proposées au code de conduite municipale et au cadre des commissaires à l’intégrité
Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
Février 2025
Aperçu
Le ministère des Affaires municipales et du Logement sollicite des commentaires sur les modifications proposées au code de conduite et au cadre des commissaires à l’intégrité pour les municipalités ontariennes, à la suite des modifications proposées dans le Projet de loi 241, Loi de 2024 sur la responsabilité au niveau municipal[1].
Je félicite le gouvernement d’avoir proposé une normalisation du code de conduite et du processus d’enquête des commissaires à l’intégrité, afin de renforcer la reddition de comptes des dirigeants municipaux, ce que je réclamais dans mon mémoire de 2021 au Ministère[2].
Me basant sur la longue expérience de mon Bureau dans le traitement de plaintes relatives à des codes de conduite municipaux et des commissaires à l’intégrité, je formule 22 recommandations fondées sur des éléments probants en vue d’atteindre l’objectif d’améliorer la transparence et la responsabilisation dans le secteur municipal.
Rôle et compétence de l’Ombudsman
L’Ombudsman est un officier indépendant et impartial de l’Assemblée législative de l’Ontario, nommé par toutes les parties en vertu de la Loi sur l’ombudsman[3], et dont le rôle est de s’assurer que le gouvernement provincial et la fonction publique ontarienne servent la population d’une façon équitable, responsable, transparente et respectueuse de ses droits.
Nos interventions visent à résoudre des questions en lien avec l’administration du gouvernement et de la fonction publique ou à enquêter sur ces questions, et à recommander, à la lumière de données probantes, des mesures correctives, si nécessaire. Nous intervenons pour donner suite à une plainte ou de notre propre initiative, et nous sommes reconnu(e)s internationalement pour la qualité et les répercussions de notre travail.
Fondé en 1975, le Bureau de l’Ombudsman de l’Ontario traite les plaintes sur les décisions et mesures administratives de plus de 1 000 organismes de la fonction publique et du gouvernement de l’Ontario, notamment les municipalités ontariennes, ainsi que les plaintes concernant les services en français et les services fournis dans le secteur de la protection de l’enfance.
Depuis 1975, nous apportons une aide directe à plus d’un million d’Ontarien(ne)s à qui nous facilitons l’accès à la justice et aux services publics essentiels.
Nous avons formulé plus de 1 300 recommandations fondées sur des éléments probants qui ont suscité d’importantes réformes systémiques, améliorant la vie de millions de gens dans notre province.
Par ses enquêtes indépendantes et impartiales et par la mise en œuvre de ses recommandations, l’Ombudsman a été l’artisan de profondes réformes à l’échelle de la province concernant les politiques publiques, l’accès à la justice et la prestation des services.
Comme spécialistes de la bonne gouvernance, nous communiquons aussi les pratiques exemplaires aux organismes du secteur public pour les aider à optimiser leurs services. Bien que les 444 municipalités de l’Ontario diffèrent notablement par leur démographie, leur géographie et leurs ressources, le droit à l’équité et à la responsabilité de la population est le même partout.
Depuis le 1er janvier 2016, mon Bureau est habilité à examiner les plaintes sur des municipalités, y compris sur les processus de traitement des plaintes par leurs commissaires à l’intégrité et leurs codes de conduite. Depuis le 1er mars 2019, toutes les municipalités sont tenues d’être dotées d’un code de conduite et de faire appel à un(e) commissaire à l’intégrité.
En tant qu’Ombudsman, je n’agis pas comme commissaire à l’intégrité pour les municipalités. Mon Bureau peut enquêter sur une plainte concernant un(e) commissaire à l’intégrité municipal(e) ayant terminé l’examen d’un dossier ou une enquête ou refusé de traiter une plainte, ou après l’expiration du délai de dépôt d’une plainte. Nous ne traitons pas d’appels et ne substituons pas nos décisions à celles d’un(e) commissaire à l’intégrité. Nous évaluons uniquement la question de savoir si le(la) commissaire à l’intégrité a respecté la loi et les procédures applicables, a bien examiné les questions soulevées, a suivi des pratiques équitables, a obtenu et examiné les renseignements pertinents et a formulé des motifs suffisants et adéquats appuyant sa décision d’après les preuves disponibles.
Mon Bureau a reçu plus de 300 dossiers (plaintes et demandes de renseignements) concernant les codes de conduite et les commissaires à l’intégrité entre le 1er mars 2019 et le 31 mars 2024. En nous fondant sur cette vaste expérience, nous avons établi des ressources sur les pratiques exemplaires pour les municipalités et le public. Notre récente publication, Codes de conduite et commissaires à l’intégrité – Guide pour les municipalités, répertorie ces pratiques exemplaires à l’intention des membres du conseil municipal, du personnel et des commissaires à l’intégrité des municipalités[4].
Normalisation des codes de conduite
La Loi de 2024 sur la responsabilité au niveau municipal aurait outillé la lieutenante-gouverneure en Conseil pour prescrire un code de conduite aux membres des conseils municipaux et des conseils locaux. Un tel changement, cadrant avec mon mémoire de 2021 au Ministère où je recommandais que les codes de conduites soient normalisés et étoffés, réglerait le manque d’uniformité entre les municipalités et mettrait tout au clair pour les membres des conseils et du public.
Dans le présent mémoire, je souligne certains éléments clés qui, à mon avis, devraient être inclus ou traités dans un code de conduite normalisé, afin de maximiser la responsabilisation dans l’administration locale. Je donne davantage d’information sur les pratiques exemplaires en matière de création d’un code de conduite dans Codes de conduite et commissaires à l’intégrité – Guide pour les municipalités. J’invite le Ministère à lire ce guide en entier afin d’en reprendre le contenu dans le code de conduite normalisé.
Proposition 1
Le ministère des Affaires municipales et du Logement devrait lire ma ressource à la disposition du public, Codes de conduite et commissaires à l’intégrité – Guide pour les municipalités, et en reprendre la teneur dans le code de conduite normalisé qu’il est en train de rédiger.
Les actuels règlements d’application de la Loi de 2001 sur les municipalités et de la Loi de 2006 sur la cité de Toronto obligent les municipalités à inclure quatre questions dans leur code de conduite : 1) les cadeaux, les avantages et les frais de représentation; 2) la conduite respectueuse, notamment la conduite envers les fonctionnaires et les employé(e)s de la municipalité ou du conseil local, selon le cas; 3) les renseignements confidentiels; et 4) l’utilisation des biens de la municipalité ou du conseil local, selon le cas.
De plus, un code de conduite normalisé devrait porter sur les points suivants :
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Décorum lors des réunions : Les règles actuelles varient d’une municipalité à l’autre quant à savoir si le(la) commissaire à l’intégrité peut traiter les plaintes concernant un possible écart de conduite lors d’une réunion. La normalisation devrait mettre ce point au clair.
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Utilisation des médias sociaux : De plus en plus de plaintes au sujet d’un(e) représentant(e) municipal(e) ont trait à sa conduite sur les médias sociaux. Un code normalisé précisera si les règles s’appliquent ou non à ce type de comportement et, si c’est le cas, énoncera les normes de conduite à respecter par les membres.
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Communications au nom du conseil municipal ou local : Un code normalisé pourra préciser si les membres sont autorisé(e)s à s’exprimer au nom de leur municipalité ou conseil local, notamment devant les médias.
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Conflits d’intérêts non prévus à la Loi sur les conflits d’intérêts municipaux : La Loi sur les conflits d’intérêts municipaux (LCIM) s’applique à des types précis de conflits d’intérêts pécuniaires, selon ses termes définis. Un code de conduite normalisé devrait préciser s’il s’applique ou non aux conflits d’intérêts sortant du cadre de la LCIM, notamment les conflits non pécuniaires, le fait de profiter de son poste de membre du conseil municipal pour avantager un(e) ami(e) ou quelqu’un de sa famille autre que son père, sa mère, son(sa) conjoint(e) ou son enfant, ou un conflit d’intérêts perçu.
Proposition 2
Le code de conduite normalisé devrait traiter des quatre questions prescrites par le Règlement de l’Ontario 55/18, ainsi que du décorum lors des réunions, de l’utilisation des médias sociaux, des communications au nom du conseil municipal ou local, et des conflits d’intérêts non prévus à la Loi sur les conflits d’intérêts municipaux.
La Loi sur la santé et la sécurité au travail[5] oblige les municipalités, en tant qu’employeurs, à se doter de politiques et de programmes contre le harcèlement au travail. Mon Bureau a reçu des plaintes au sujet de manquements allégués concernant à la fois un code de conduite et une politique sur le harcèlement au travail, ce qui est source d’incertitude quant à la nature de l’enquête à mener et au rôle du (de la) commissaire à l’intégrité. Le code de conduite normalisé devrait préciser si le(la) commissaire peut enquêter sur les plaintes pour harcèlement au travail ou si ces plaintes doivent être assujetties à un autre processus.
Proposition 3
Le code de conduite normalisé devrait prévoir de quelle façon il interagit avec les politiques municipales sur le harcèlement au travail.
Pour que les commissaires à l’intégrité puissent remplir leurs fonctions efficacement, le code de conduite normalisé devrait prévoir des mesures de protection des personnes qui font une plainte aux termes de ce code auprès d’un(e) commissaire à l’intégrité ou qui se conforment à d’autres procédures ou demandes du(de la) commissaire. Il faut en effet les protéger contre les représailles et les menaces de représailles.
Le code de conduite normalisé devrait aussi exiger des conseils municipal et local qu’ils coopèrent avec le commissaire à l’intégrité et qu’ils sévissent contre les membres qui font ou tentent de faire obstruction ou une déclaration trompeuse à un(e) commissaire à l’intégrité dans l’exercice de ses fonctions.
Proposition 4
Le code de conduite normalisé devrait :
- prévoir des mesures de protection anti-représailles pour les plaignant(e)s et quiconque coopère avec un commissaire à l’intégrité;
- obliger les membres des conseils municipal et local à coopérer avec les commissaires à l’intégrité;
- prévoir des sanctions contre les membres qui font ou tentent de faire obstruction ou une déclaration trompeuse à un(e) commissaire à l’intégrité dans l’exercice de ses fonctions.
Le(la) commissaire à l’intégrité qui constate une infraction au code est légalement habilité à recommander au conseil municipal d’imposer une pénalité (une réprimande ou une suspension de la rémunération). Les tribunaux sont d’avis que les commissaires peuvent aussi recommander au conseil d’imposer des mesures correctives comme l’expulsion du comité, la demande ou l’obligation de présenter des excuses ou l’obligation de rendre les biens municipaux. Le code de conduite normalisé devrait aussi investir le(la) commissaire du pouvoir discrétionnaire de recommander des mesures correctives. Pour favoriser l’uniformité dans toute la province, le code normalisé devrait renfermer une liste non exhaustive des recours disponibles.
Proposition 5
Le code de conduite normalisé devrait préciser que le(la) commissaire à l’intégrité peut recommander au conseil d’imposer des mesures correctives, et présenter une liste non exhaustive des recours disponibles.
Processus d’enquête normalisés
J’applaudis le Ministère pour sa proposition d’adopter un processus normalisé concernant la réception et l’examen des plaintes par le(la) commissaire à l’intégrité ainsi que ses enquêtes et rapports à ce sujet[6]. La plupart des plaintes à mon Bureau au sujet d’un(e) commissaire à l’intégrité concernent les processus suivis ou non lors d’une enquête. Des processus solides, fiables et flexibles pourront prévenir bon nombre des problèmes que nous avons constatés.
Le guide de mon Bureau, Codes de conduite et commissaires à l’intégrité – Guide pour les municipalités, fait état de pratiques exemplaires à chaque étape du processus d’enquête. Je conseille au Ministère de reprendre ce contenu dans ses processus normalisés en cours de rédaction. Dans le présent mémoire, je porte mon attention sur certains éléments clés qu’il faudra traiter en vue de garantir des processus justes, transparents et accessibles. J’invite toutefois le Ministère à lire le Guide en entier afin d’en reprendre la teneur dans ses processus normalisés.
Proposition 6
Le ministère des Affaires municipales et du Logement devrait prendre connaissance de ma ressource publiée, Codes de conduite et commissaires à l’intégrité – Guide pour les municipalités et en reprendre le contenu dans ses processus d’enquête normalisés en cours de rédaction.
Plaintes et demandes déposées auprès du(de la) commissaire à l’intégrité
Le processus normalisé devrait expliquer clairement les démarches à suivre pour porter plainte, notamment pour demander des accommodements au besoin. Il devrait aussi préciser s’il existe ou non une avenue de résolution informelle ou d’examen préliminaire avant l’enquête formelle. Enfin, il devrait indiquer si oui ou non le(la) commissaire peut revoir des plaintes anonymes, et lui conférer le pouvoir discrétionnaire de protéger l’identité des plaignant(e)s.
J’ai régulièrement réclamé l’abolition des frais et des autres obstacles à la présentation des plaintes relatives à un code de conduite, notamment l’obligation pour les plaignant(e)s de déposer un affidavit sous serment[7]. Les frais et les lourdes exigences administratives peuvent dissuader des plaignant(e)s qui sont pourtant dans leur droit et ainsi nuire à l’efficacité et à l’accessibilité du régime des commissaires à l’intégrité[8].
Proposition 7
Le processus normalisé devrait prévoir une démarche claire quant au dépôt des plaintes, et abattre les obstacles à la présentation d’une plainte, notamment en éliminant les frais exigés et les lourdes contraintes administratives comme celle de l’affidavit sous serment.
Si le processus normalisé prévoit un délai pour le dépôt d’une plainte, le(la) commissaire à l’intégrité devrait conserver le pouvoir discrétionnaire et la latitude d’accepter une plainte en dehors de ce délai selon les particularités du dossier.
Proposition 8
Si le processus normalisé prévoit un délai pour le dépôt d’une plainte, le(la) commissaire à l’intégrité devrait conserver le pouvoir discrétionnaire et la latitude d’accepter une plainte en dehors de ce délai selon les particularités du dossier.
Rejet de plaintes
Certaines municipalités qui imposent des frais et des exigences administratives aux plaignant(e)s ont dit à mon Bureau qu’elles faisaient cela pour décourager les plaintes frivoles ou vexatoires. Un moyen plus efficace de régler ce problème serait d’investir le(la) commissaire à l’intégrité du pouvoir discrétionnaire de rejeter les plaintes frivoles ou vexatoires.
Proposition 9
Le processus normalisé devrait prévoir un pouvoir discrétionnaire fort qui permettrait au(à la) commissaire à l’intégrité de rejeter les plaintes frivoles ou vexatoires au lieu d’exiger des frais.
En plus des plaintes frivoles ou vexatoires, le(la) commissaire à l’intégrité devrait avoir le pouvoir discrétionnaire de rejeter une plainte pour certaines raisons, par exemple lorsqu’elle ne relève pas de sa compétence, qu’elle a été ou est traitée par un autre processus (ex. : instance judiciaire ou enquête sur un cas de harcèlement en milieu professionnel) ou bien s’il est évident qu’il n’y aurait pas eu d’infraction au code de conduite même si les allégations étaient prouvées.
Proposition 10
Le processus normalisé devrait laisser au(à la) commissaire à l’intégrité le pouvoir discrétionnaire de rejeter les plaintes ne relevant pas de sa compétence, qui ont été ou sont traitées par un autre processus ou dans les cas où il n’y aurait pas d’infraction même si les allégations étaient prouvées.
Ce processus devrait préciser clairement si les commissaires à l’intégrité peuvent ou non exercer leur pouvoir discrétionnaire de refuser d’enquêter ou d’arrêter l’enquête à toute étape du processus ou si cela se limite à certains points seulement. Il devrait également y être exigé que les commissaires informent les plaignant(e)s par écrit de leur décision (ainsi que les personnes faisant l’objet des allégations s’il y a lieu) et leur en communiquent les raisons en mentionnant les renseignements examinés.
Proposition 11
Le processus normalisé devrait préciser dans quels cas le(la) commissaire à l’intégrité peut rejeter une plainte ou arrêter l’enquête et exiger qu’il(elle) communique par écrit sa décision et les raisons de cette décision.
Délais
À l’heure actuelle, il n’existe aucun délai légal à respecter par le(la) commissaire à l’intégrité quant à ses enquêtes sur une plainte relative au code de conduite. Les longs temps d’attente peuvent miner la confiance du public dans le processus de plainte, et nous recevons souvent les plaintes de membres du public mécontent(e)s du temps que certain(e)s commissaires prennent pour faire leur travail. Le processus normalisé devrait fixer des délais raisonnables pour accuser réception d’une plainte, décider si une enquête est justifiée ou non, puis mener l’enquête et rédiger un rapport.
Les commissaires à l’intégrité devraient aussi avoir la latitude de prolonger un délai si c’est nécessaire selon les circonstances du dossier. Les plaignant(e)s et les membres faisant l’objet d’une allégation devraient être informé(e)s par écrit de toute prolongation et des raisons de celle-ci, avec la mention d’une nouvelle date limite.
Proposition 12
Le processus normalisé devrait prévoir des délais raisonnables pour chaque étape du processus encadré par le(la) commissaire à l’intégrité, ainsi que la possibilité de prolonger ces délais si nécessaire, pourvu que le(la) commissaire en avise toutes les parties par écrit en leur indiquant les raisons et une nouvelle date limite.
Différentes modalités de traitement des plaintes
Mon Bureau a reçu de nombreuses plaintes au sujet d’infractions alléguées tant au code de conduite qu’aux règles sur les conflits d’intérêts prévues par la Loi sur les conflits d’intérêts municipaux. Le processus normalisé devrait préciser la marche à suivre par le(la) commissaire à l’intégrité pour une plainte relevant aussi bien du code de conduite que de la Loi, étant donné les exigences procédurales qui sont différentes de part et d’autre.
Ce processus devrait aussi prévoir les mesures que le(la) commissaire devrait adopter si l’enquête révèle une possible infraction au Code criminel, à une autre loi ou à une politique municipale (notamment sur le harcèlement au travail). Il devrait aussi préciser si le(la) commissaire peut ou non reprendre une enquête après la fin d’un autre processus.
Proposition 13
Le processus normalisé devrait préciser aux commissaires à l’intégrité comment traiter les plaintes qui relèvent tant du code de conduite que d’un autre instrument législatif ou d’une autre politique, et comment traiter celles qui se prêtent mieux à un autre processus.
Confidentialité
Les commissaires à l’intégrité sont tenu(e)s de garder le secret sur toutes les questions dont ils(elles) prennent connaissance dans l’exercice de leurs fonctions. Il devrait être écrit dans le processus normalisé que les renseignements obtenus par les commissaires à l’intégrité sont confidentiels dans les limites permises par la loi. Le processus devrait accorder aux commissaires le pouvoir discrétionnaire de décider quels renseignements divulguer compte tenu des circonstances locales.
Par souci d’équité procédurale, le(la) membre d’un conseil municipal ou local faisant l’objet d’une plainte devrait être informé(e) de la teneur des allégations afin d’avoir une possibilité équitable d’y répondre. Selon les tribunaux, le(la) commissaire peut répondre à cette exigence en communiquant les motifs généraux de la plainte, sans qu’il soit nécessaire d’en divulguer le détail, de communiquer les preuves ni d’identifier les témoins[9].
Proposition 14
Le processus normalisé devrait prévoir que les renseignements obtenus par les commissaires à l’intégrité sont confidentiels dans les limites permises par la loi, et que les commissaires peuvent à leur discrétion décider quels renseignements divulguer, y compris dans les rapports au conseil municipal.
Proposition 15
Le processus normalisé devrait accorder aux commissaires à l’intégrité le pouvoir discrétionnaire de décider quels renseignements divulguer au moment d’informer le(la) membre d’un conseil municipal ou local faisant l’objet de la plainte de la teneur des allégations et de leur enquête, conformément à la règle de confidentialité du processus.
Preuve et comptes rendus
Les municipalités et les conseils locaux sont tenus de fournir les renseignements ou l’accès à des biens dont le(la) commissaire à l’intégrité estime avoir besoin pour examiner une plainte, que l’enquête relève du code de conduite ou de la LCIM. Le processus normalisé devrait prévoir que le(la) commissaire peut recueillir tout renseignement additionnel qu’il(elle) juge nécessaire, notamment par des entrevues ou l’obtention de documents.
Il devrait aussi prévoir des exigences à suivre par le(la) commissaire quant aux pratiques administratives et aux documents à conserver et notamment quant à savoir quels documents conserver et pour combien de temps.
Proposition 16
Le processus normalisé devrait préciser que le(la) commissaire à l’intégrité peut recueillir des preuves par des témoignages et des documents selon ce qu’il(elle) juge nécessaire. Il devrait aussi préciser toute pratique de conservation de documents que le(la) commissaire devrait suivre, notamment quant à savoir quels documents conserver et pour combien de temps.
Droit de participer
Le processus normalisé devrait prévoir comment le(la) membre d’un conseil municipal ou local faisant l’objet de la plainte pourra collaborer avec l’enquête. Il devrait préciser quels renseignements devraient lui être fournis et par quels mécanismes il(elle) peut répondre à la plainte, notamment par un processus relatif aux rapports préliminaires avant que le(la) commissaire à l’intégrité produise son rapport final.
Proposition 17
Le processus normalisé devrait préciser par quelles modalités le(la) membre d’un conseil municipal ou local faisant l’objet de la plainte sera informé(e) de la plainte et pourra y répondre. Il devrait exiger que les commissaires à l’intégrité permettent aux membres visés de lire une version préliminaire du rapport et d’y répondre avant la rédaction du rapport final au conseil et sa publication.
Publication des rapports des commissaires à l’intégrité
Les municipalités sont tenues de publier les rapports des commissaires à l’intégrité[10]. Nous avons reçu des plaintes sur des cas où une municipalité avait omis de le faire dans les délais prévus. Le processus normalisé devrait donner des directives aux municipalités pour garantir la transparence envers le public, notamment quant aux modalités et délais de publication de ces rapports.
Proposition 18
Le processus normalisé devrait exiger que les municipalités publient les rapports des commissaires à l’intégrité dans de brefs délais, par exemple en s’assurant que ces rapports, une fois achevés, sont versés à l’ordre du jour de la réunion suivante du conseil.
Améliorer l’accès aux services des commissaires à l’intégrité dans les municipalités rurales, nordiques ou de petite taille
Je me réjouis de voir le Ministère réfléchir aux façons d’améliorer l’accès aux services des commissaires à l’intégrité pour les Ontarien(ne)s des municipalités rurales, nordiques ou de petite taille afin de garantir le même niveau de responsabilité dans le secteur municipal pour toute la province, indépendamment de la taille ou du lieu géographique des municipalités.
Le Ministère mène une consultation sur « la question de savoir si le commissaire à l’intégrité de l’Ontario a un rôle à jouer dans la prestation des services des commissaires à l’intégrité dans certaines municipalités ». Je me range derrière son travail d’allègement des coûts et des exigences administratives pour les petites municipalités et celles disposant de ressources moindres, tout en s’assurant que toute la population ontarienne accède à un important mécanisme de responsabilisation.
Formation des commissaires à l’intégrité et exigences minimales d’accréditation
J’applaudis le Ministère pour sa volonté d’exiger que tou(te)s les commissaires à l’intégrité reçoivent une formation auprès du commissaire à l’intégrité de l’Ontario sur certains sujets. Comme je l’ai fait observer dans mon mémoire au Ministère en 2021, la formation obligatoire, les normes professionnelles ou l’accréditation aideraient à garantir au public l’accès à des évaluations équitables et de qualité supérieure, quel que soit le lieu de résidence[11].
À tout le moins, le(la) commissaire à l’intégrité devrait recevoir une formation sur le code de conduite normalisé et les processus d’enquête normalisés des commissaires à l’intégrité. La formation devrait aussi porter sur les pouvoirs et obligations des municipalités, des commissaires à l’intégrité et du commissaire à l’intégrité de l’Ontario aux termes de la Loi de 2001 sur les municipalités (ou de la Loi de 2006 sur la cité de Toronto) ou de la Loi sur les conflits d’intérêts municipaux. Les commissaires devraient aussi recevoir une formation sur le rôle de l’Ombudsman de l’Ontario, la gouvernance municipale, l’équité administrative et la production efficace de rapports. Mon Bureau a créé et publié des ressources pouvant faciliter l’élaboration de ces formations, notamment la publication Codes de conduite et commissaires à l’intégrité – Guide pour les municipalités.
Proposition 19
Le ministère des Affaires municipales et du Logement devrait s’assurer que la formation des commissaires à l’intégrité porte sur la gouvernance municipale, le code de conduite normalisé et les processus d’enquête normalisés des commissaires à l’intégrité, et sur l’équité administrative, la rédaction efficace de rapports, le rôle de l’Ombudsman de l’Ontario ainsi que les obligations et pouvoirs respectifs des municipalités, des commissaires à l’intégrité et du commissaire à l’intégrité de l’Ontario aux termes de la Loi de 2001 sur les municipalités (ou de la Loi de 2006 sur la cité de Toronto) ou de la Loi sur les conflits d’intérêts municipaux.
J’inviterais aussi le Ministère à envisager d’établir des exigences minimales d’accréditation des commissaires à l’intégrité par le Ministère ou le commissaire à l’intégrité de l’Ontario. Cela ferait en sorte que les municipalités nomment des commissaires dotés de l’expérience et des compétences requises.
Le Ministère pourrait confier au commissaire à l’intégrité de l’Ontario la tâche de conseiller les municipalités sur les minimums acceptables quant à l’expérience et à la qualification d’un(e) commissaire à l’intégrité potentiel(le), en plus de son niveau de formation et d’éducation.
Proposition 20
Le ministère des Affaires municipales et du Logement devrait créer des seuils d’exigences professionnelles pour les commissaires à l’intégrité des municipalités.
Proposition 21
Les seuils d’exigences professionnelles pour les commissaires à l’intégrité devraient consister en un minimum d’expérience de travail à des postes judiciaires, quasi judiciaires ou d’enquête en contexte juridique, dans un travail nécessitant l’application des règles d’éthiques et des principes d’équité et de justice naturelle. Les exigences devraient aussi inclure une connaissance du secteur municipal de l’Ontario et des règlements municipaux et autres règlements et politiques applicables, ainsi que la maîtrise courante du français dans certains cas.
Indépendance des commissaires à l’intégrité
La Loi de 2001 sur les municipalités (par. 159(1) de la Loi de 2006 sur la cité de Toronto) exige au paragraphe 223.3(1) que les commissaires à l’intégrité exercent leurs fonctions de façon indépendante et fassent rapport directement au conseil municipal. Toutefois, comme je l’ai fait observer au Ministère dans mon mémoire de 2021[12], mon Bureau a reçu des plaintes au sujet de l’indépendance des commissaires à l’intégrité occupant d’autres postes dans la même municipalité.
Les commissaires à l’intégrité des municipalités jouent un rôle essentiel dans le processus démocratique, car ils promeuvent la responsabilisation, l’éthique et la conduite respectueuse à l’échelle locale. Si quelqu’un juge qu’il y a eu manquement aux règles déontologiques d’une municipalité, le(la) commissaire peut examiner la plainte et faire enquête, notamment dans le cas d’un conflit d’intérêts potentiel. Comme il fait rapport au conseil et publie ses constatations et recommandations, le(la) commissaire à l’intégrité peut mettre en évidence les cas d’inconduite ou dissiper les allégations sans fondement. Pour être efficace dans son travail, il(elle) doit être crédible et d’une indépendance sans reproche.
J’ai été heureux de constater que le projet de loi 241 prévoyait des mesures visant à renforcer la confiance du public dans les commissaires à l’intégrité en proposant que les municipalités consultent le commissaire à l’intégrité de l’Ontario quant à l’indépendance d’une personne pressentie au poste de commissaire à l’intégrité.
Le Ministère devrait renforcer davantage la confiance du public dans l’indépendance des commissaires en leur interdisant de cumuler plusieurs postes pour la même municipalité. Le public aura davantage confiance dans la municipalité dont un(e) représentant(e) officiel(le) fait enquête de façon entièrement indépendante sans occuper nulle autre fonction à la municipalité. Cela contribuera aussi à garantir que les membres des conseils municipaux ou locaux font un travail exempt de conduite irrespectueuse ou contraire à l’éthique.
Il existe un principe fondamental d’équité voulant qu’il y ait justice et aussi apparence de justice. La confiance du public dans l’indépendance des commissaires à l’intégrité et de leurs décisions risque d’être compromise s’il leur est permis d’occuper plus d’un poste dans une même municipalité. Lorsque c’est le cas, cela vient avec un important risque de susciter de la confusion et de la méfiance chez le public et d’engendrer une situation de conflit d’intérêts réel ou perçu.
La présence d’une relation professionnelle actuelle ou récente entre une municipalité et son(sa) commissaire à l’intégrité peut donner l’impression d’un lien trop direct entre le(la) commissaire et les intérêts des membres du conseil dont il(elle) supervise la conduite. Le Ministère devrait s’assurer qu’aucune personne ne peut devenir commissaire à l’intégrité d’une municipalité si elle est ou a récemment été à l’emploi de cette municipalité, ou si elle lui fournit ou lui a récemment fourni des services juridiques, d’enquête ou d’autres services professionnels.
Proposition 22
Le ministère des Affaires municipales et du Logement devrait vérifier qu’aucune personne actuellement ou récemment employée par une municipalité, ou lui fournissant ou ayant récemment fourni des services autres que de commissaire à l’intégrité (ex., services juridiques, enquêtes ou autres services professionnels), ne peut devenir commissaire à l’intégrité de cette municipalité.
Conclusion
Je félicite le ministère des Affaires municipales et du Logement d’avoir pris des mesures en vue de créer un code de conduite normalisé pour les municipalités et des processus d’enquête normalisés pour les commissaires à l’intégrité. Afin que toute la population ontarienne ait accès à des services irréprochables auprès de ces commissaires, j’encourage le Ministère à faire siennes mes propositions concernant le code de conduite normalisé et les pratiques exemplaires quant aux processus à suivre par les commissaires à l’intégrité des municipalités.
J’invite aussi le Ministère à mettre en œuvre des mesures de sécurité additionnelles pour garantir aux Ontarien(ne)s l’accès à des commissaires à l’intégrité possédant les compétences, l’expérience et l’indépendance nécessaires leur permettant d’exécuter leur travail avec compétence et équité, de façon à inspirer confiance au public.
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Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
[1] Projet de loi 241, Loi modifiant la Loi de 2006 sur la cité de Toronto et la Loi de 2001 sur les municipalités en ce qui concerne les codes de déontologie, 43e législature, 1re session, Ontario, 2024 (première lecture, 12 décembre 2024).
[2] Ombudsman de l’Ontario, Mémoire au ministère des Affaires municipales et du Logement au sujet de sa consultation : Renforcer la reddition de comptes des membres des conseils municipaux (juillet 2021) [le « mémoire de 2021 »], en ligne.
[3] L.R.O. 1990, chap. O.6.
[4] Ombudsman de l’Ontario, Codes de conduite et commissaires à l’intégrité – Guide pour les municipalités (2024) [« Guide de 2024 »], en ligne.
[5] L.R.O. 1990, chap. O.1., art. 32.0.6.
[6] La Loi de 2001 sur les municipalités emploie le terme « enquête » qui en anglais correspond à « inquiries » et « investigation », souvent employés comme synonymes. Dans ses consultations, le Ministère parle de « processus d’enquête normalisés ».
[7] Voir mes rapports annuels 2023-2024, 2021-2022, 2020-2021 et 2017-2018, mémoire de 2017 au Comité permanent de la politique sociale sur le projet de loi 68, et guide des pratiques exemplaires : Ombudsman de l’Ontario, « rapports annuels », en ligne; voir aussi, Ombudsman de l’Ontario, Submission to the Standing Committee on Social Policy on Bill 68, Modernizing Ontario’s Municipal Legislation Act, 2017 (avril 2017), en ligne (en anglais seulement); Ombudsman de l’Ontario, Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletConseils pour les municipalités : Codes de conduite et commissaires à l’intégrité, en ligne; Guide de 2024, supra note 4.
[8] 2024 Guide, supra note 4.
[9] Voir Michael Di Biase v. City of Vaughan, 2016 ONSC 5620, para 146 à 149, citant Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 1989 CanLII 44 (CSC), [1989] 2 RCS 879, para 27; Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), 1987 CanLII 81 (CSC), [1987] 1 RCS 181, para 71.
[10] Loi de 2001 sur les municipalités, par. 223.6(3); Loi de 2006 sur la cité de Toronto, 2006, par. 162(3).
[11] Mémoire de 2021, supra note 2.
[12] Mémoire de 2021, supra note 2.